1904-1971
Née à Djakarta en 1904. Christine Boumeester est diplômée des Beaux-Arts de La Haye. Elle s'installe à Paris en 1935.
Réfugiée dans la peinture et enfermée dans l'espace silencieux de son exigence, à travers
les bouleversements d'un demi-siècle, Christine Boumeester fut clandestine dans l'art de sa vie.
Son parcours artistique l'a conduite du figuratif, inspiré de la gravure de Dürer et de l'estampe japonaise, à une abstraction onirique et libre où la naissance des formes s'appuie sur une gamme étrange de couleurs rares. Trois rencontres furent décisives pour son art : celle d' Henri Goetz qu'elle épousera en 1935 ; la même année, elle côtoie Hans Hartung à la Grande Chaumière à Paris. Hartung partagera en 1938 leur maison et leur atelier, incitant Christine à faire basculer sa peinture dans l'abstraction. Enfin, Francis Picabia dont l'amitié, née pendant la guerre, s'affermit en 1946 pour durer jusqu'à la mort du peintre en 1953. Les deux artistes échangèrent une correspondance empreinte de familiarité sincère et de grande spontanéité où Christine retint, au-delà du dadaïsme iconoclaste, une vraie leçon d'indépendance intellectuelle qui allait lui donner confiance en ses propres capacités. Elle restaurera Udnie, le chef d'œuvre de Picabia du Centre Pompidou.
Sa mort en 1971 est vécu par le monde des arts et des lettres comme une tragédie, en particulier pour Henri Goetz qui ne s'en remettra réellement jamais. Hartung écrit alors: "Le jour de la mort de Christine le monde est devenu un peu plus vide, un peu plus triste, comme si - dans un jardin - on avait cueilli une des plus belles fleurs, fine, discrète dont l'absence nous choque dans la suite."
« Je suis née sur une grande île ensoleillée, la même ou étaient nés et avaient vécu mes ancêtres depuis cinq générations. Ce que j'ai tant aimé de ce pays c'est la nature, les mystérieuses forêts, les montagnes. La nature me semblait la chose principale dont tout faisait partie, le temps qui avait une respiration calme comme l'éternel bruissement des bambous, et toutes les choses qu'on faisait dans la journée. Je touchais la terre avec mes pieds nus, mes animaux étaient mes amis. Je parlais peu avec mes camarades, une grande bonté planait sur les choses. Ce sont les reproductions de l'École de Paris dans différentes revues qui m'ont attirée à Paris. J'ai senti qu'il m'était nécessaire de vivre dans un climat où l'inexplicable semblait dépasser son état de dépaysement. Je ne savais pas ce que j'allais trouver à Paris mais j'étais sûre que c'était là où tout bougeait en peinture.
Je considère la France comme mon pays, sans désavouer la Hollande, pas plus que l'Indonésie où je suis née et où j'ai passé toute mon enfance. J'ai beaucoup dessiné étant enfant ; je ne dessinais pas dans les marges de mes livres d'école comme cela se passe d'habitude, car le plus souvent, les cours m'intéressaient. Pour dessiner, je ressentais le besoin d'être seule avec la nature ou avec l'image que je copiais, tant j'en étais absorbée. Il me semblait que c'était presque une chose magique que de pouvoir faire vivre avec rien qu'un bout de papier et un crayon, un grand volcan avec son panache et l'air qui entourait.
Mais je n'en parlais à personne. La peinture était une chose aussi lointaine que les personnages dans les livres d'histoire. Je n'avais jamais vu de tableaux. Il n'y en avait certainement pas beaucoup dans mon île, qui pourtant était grande comme la France.
Peu de temps avant que nous quittâmes l'Indonésie pour aller en Hollande, j'avais déjà 16 ans, je vis par hasard une exposition de peinture à l'huile. Je me suis rendue compte, après, que ces tableaux étaient des pauvres paysages tropicaux bien décevants, mais cet ensemble me donna un choc extraordinaire. C'était comme si je jetais un premier regard sur ma terre promise. J'y pensais longtemps après. »
Le cahier de Christine Boumeester, éditions Coprah, Montpellier, 1977