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Karine HOFFMAN

Blazing sun 

 

                                                                                                              « Elle détruit un ordre imaginaire, renverse les objets ; les regarde à l’envers », Marguerite Duras, Hiroshima mon amour



 

Tout véritable créateur est bègue. N’y a-t-il pas en effet un plaisir dans l’acte pictural de recommencer, de s’approcher de son sujet sans jamais le saisir ? « Il faut imaginer Sisyphe heureux », selon Albert Camus. Cette forme de jouissance à ne pas y arriver, ce sentiment extatique à impar-faire, sous-tend la pratique picturale de Karine Hoffman. De sorte que, implicitement, chez elle, l'œuvre se fait, en partie, en aveugle… Ce qui est un thème éminemment romantique : fermer l'œil physique pour ouvrir l'œil sensible. Puiser dès lors dans les tréfonds de la conscience une panoplie visuelle que la création va hisser à la surface. Aussi s’agit-il d’une peinture épiphanique qui n’offre rien à lire, ni même, quelque part, rien à voir : elle se sent, se touche presque, dans une invitation à un rapport haptique et fusionnel à sa matière. Grattée à la hampe, lissée au couteau, frottée, accidentée, elle retranscrit un panel de phénomènes (mou ou dur, construit ou vaporeux…) qui embrassent le regard comme un spectacle ensorcelant. Peinture héraclitéenne, inépuisable donc, qui s’échappe à elle-même. 

 

Inquiétante atmosphère que celle des peintures de Karine Hoffman, faite d’incendies nuiteux et de décors de forêts éclairés aux fanaux. Clair-obscurs embrasés de faux soleils et de feux grégeois, ils ne s’appréhendent qu’à travers l’écran du sfumato. L’accès est voilé, l’image hermétique. C’est une peinture de l’absence, qui approche les souvenirs de souvenirs sans s’embarrasser d’aucune logique. À noter par exemple la cohabitation d’ombres contraires et de soleils multiples au sein d’un schéma polyfocal. Autrement dit, est à l’œuvre une entreprise de subversion d’un espace construit et composé dans lequel vient s’immiscer un élément perturbateur. Antichambres méphitiques, lieux post-trauma qui crépitent encore après la tempête, ces surfaces dépeuplées donnent vie à la peinture sans le détour du sujet. Plus la peinture est « vide » de tout sujet, plus elle opère cette médiation de l’expérience quasi mystique. Le vide est en effet le lieu où le pré-visible communique avec l’in-visible, où l’opacification du medium pictural est un moyen plastique d’évocation d’un espace infini qui continue au-delà de la toile, gardant le récit ouvert. D’une manière similaire, les teintes chimiques de Karine Hoffman sont moins des couleurs que des éléments dynamiques qui sortent du tableau : jaune-lumière, vert-fluide, gris-terre, orange-héliotrope insufflent son mouvement à cette peinture écliptique. Dynamisme que l’on rencontre à nouveau dans les céramiques, fragments solides extirpés de la peinture dont elles sont les scories. Ces travaux en volume se situent très clairement dans la directe continuité des œuvres en deux dimensions : les uns, comme les autres, sont conçus pour être mis en regard et se répondent, formant une boucle. Conjointement au lexique plastique, s’identifie une même confrontation des matières : le mat et le brillant, le brut et l’émaillé, le cuit et le cru cohabitent dans ces céramiques assemblées avec des rebuts glanés dans le réel (briques, troncs de bois, chutes de chantier…). Objets en gestation, objets témoins de leur ruine, ils accusent une pensée en chemin dans un non finito qui tord le réel. 

 

Lit, gant, seau, boîte, champignon, mur, planche : les quelques banals objets figurés dans l’ensemble de l'œuvre sont paradoxalement abstraits de leur rôle d’une façon générique, dérogeant à leur usage pour devenir les symptômes d’une équation insoluble. Au sein du chaos, la présence évidente de ces objets ne peut échapper au regard comme nul être n’échappe à soi-même. « Ce qui apparaît dans la honte, c’est donc précisément le fait d’être rivé à soi-même, l’impossibilité radicale de se fuir pour se cacher à soi-même, la présence irrémissible du moi à soi-même. La nudité est honteuse quand elle est la patence de notre être, de son intimité dernière » écrit Emmanuel Levinas dans De l’évasion, 1982. Qu’il est étrange et humain le dépouillement de ces objets isolés qui semblent assister à l’évènement. Ceux-ci mettent à eux-seuls à l’index le clivage strict entre abstraction et figuration. L’impulsion est mue dans l’espace interstitiel entre ces deux pôles. Ce qui se passe traditionnellement au second plan de la peinture est dès lors ici le terrain d’exploration de l’artiste, sa traversée initiatique dans ce monde en train de se faire. 

 

*Per espera ad astra.

 

Elora Weill-Engerer

 

*Par des sentiers ardus jusqu’aux étoile

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